La douleur persistante : ce n’est pas que dans la tête !
- Nicolas Blanchette, Ost, B.sc kin

- 21 mai
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 août

Au Canada, la douleur persistante toucherait actuellement 1 personne sur 5. D’abord, il faut savoir que l’on définit la douleur persistante (aussi appelé chronique) comme une douleur qui continue d’être vécue après une période supérieure à 3-6 mois.
Pourquoi 3-6 mois ? Car cet intervalle de temps est plus grand que la durée moyenne du processus de guérison physiologique de la plupart des tissus de l’organisme (os, muscles, ligaments, etc.). Mais attendez une minute… c’est donc dire que l’on peut être complètement guéri d’une blessure et ressentir tout de même encore de la douleur ? Continuer de lire pour en savoir davantage !
L’organisme humain est aussi merveilleux que complexe : il possède la faculté innée de s’auto-guérir de toutes sortes de traumatismes et de lésions. À la suite d’une blessure, la production de douleur par le système nerveux n’arrive pas pour rien. Même si c’est désagréable d’avoir mal, dans cette situation, c’est une bonne chose ; cela nous encourage à protéger la région endommagée pendant le processus de guérison pour faciliter le travail des ouvriers cellulaires qui assureront les réparations !
La douleur, c’est comme le panneau de signalisation aux abords d’un chantier qui avisent les automobilistes de ralentir car des travaux sont en cours ! Toutefois, une fois les travaux complétés, il est inutile de maintenir le panneau en place. S’il demeure sur les lieux longtemps, cela ne créera rien d’autres que des désagréments et de la frustration. Il en est de même pour la douleur ! Lorsqu’elle prend un caractère persistant, la douleur ne sert souvent plus son rôle initial de protection !
Vous ne le saviez peut-être pas, mais, niveau blessures et douleur, toutes les combinaisons sont possibles
On peut avoir une blessure et ressentir de la douleur (le classique !)
On peut avoir une blessure et ne pas ressentir de douleur (vous vous êtes peut-être déjà réveillé en remarquant un gros hématome sur votre jambe et en vous demander dans quoi vous pouvez bien vous être cogné pour avoir fait un tel ‘’bleu’’...)
On peut aussi ne pas avoir de blessure et ressentir tout de même de la douleur ! C’est ce qui rend la douleur persistante particulièrement difficile à soigner. Il n’y a plus de lésion à guérir!
L’IASP (International Association for the Study of Pain) définie la douleur ainsi : "une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à, ou ressemblant à celle associée à, une lésion tissulaire réelle ou potentielle".
Lésion réelle ou potentielle… voilà qui porte à réfléchir. En effet, contrairement à la pensée populaire, la présence d’une blessure à l’organisme n’est pas nécessaire pour que l’on éprouve une sensation douloureuse désagréable. Cela permet de mieux comprendre pourquoi certaines personnes souffrantes, malgré des examens médicaux approfondis ne décelant aucun problème, peuvent tout de même vivre des expériences de douleur ayant un profond impact sur leur fonctionnement au quotidien.
Ils ne s’imaginent pas vivre de la douleur pour autant et ils ne sont pas fous ! Ce n’est pas simplement ‘’dans leur tête’’! La douleur et ses répercussions, sont réellement ressentie et vécues. Mais pourquoi pourrait-on continuer à avoir mal malgré qu’une blessure soit guérie ? ou même sans blessure tout court ?
Pour répondre à ces questions, il faut s’intéresser au phénomène de la production et de la régulation de la douleur par le chef d’orchestre, notre système nerveux.

Un système de protection sophistiqué, mais pas infaillible
Fort de ses millions d’années d’évolution, notre système nerveux accomplit un nombre incalculable de fonctions simultanément à une vitesse inimaginable. Certaines de ces fonctions concernent directement la transmission et l’interprétation des messages en lien avec la douleur. Les neurones contenus dans nos nerfs, moëlle épinière et cerveau constituent les unités fonctionnelles responsables de la transmission de ces messages.
Comme toutes les cellules de notre organisme, les neurones sont vivants, capables de s’auto-réguler et de s’adapter. Or, il peut arriver qu’ils deviennent hypersensibles et se mettent à transmettre des signaux avec une fréquence et une intensité plus élevée qu'à l'habitude.
Cet état d’hypersensibilité neuronale est réel, mesurable et observable. C’est ce phénomène qui se produit après une blessure comme une chute ou une coupure. Normalement, l’hypersensibilisation ne dure que quelques semaines tout au plus. Toutefois, il arrive régulièrement que cet état perdure plus longtemps si notre système nerveux est sous différentes contraintes physiques et psychologiques (manque de sommeil, troubles de l'humeur, croyances et attitudes mésadaptatés, etc.) ou si nous sommes sous l’impression qu’il doit maintenir ses mesures de protection en état d’alerte.
La douleur s’incruste alors et peut même être vécue dans des régions du corps adjacentes (ou même complètement éloignées!). C’est un phénomène que les scientifiques appellent sensibilisation centrale.
Heureusement, comme l’état de sensibilisation s’est installé au fil du temps, il est possible de prendre le chemin inverse et de désensibiliser progressivement des neurones en état d’alerte excessive! Pour cela, il est vital de vous impliquer de façon active dans ce processus, car comme il s’agit de votre histoire très personnelle, personne ne pourra y arriver à votre place (vous pouvez cependant recevoir de l’aide et être guidé pour vous aider à y parvenir). Pour désensibiliser, il faudra sans doute réorganiser votre façon de penser et vos perceptions ainsi que vous exposer graduellement à certaines tâches et activités dont vous pourriez vous être retirer par peur d’aggraver votre douleur.
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Recalibrer le système d’alarme
La douleur persistante sans lésion, c’est comme l’alarme à incendie qui se déclencherait sans cesse même s’il n’y a pas de feu! Il faudra donc modifier les réglages de ce système. Chaque fois qu’un signal de douleur est produit, il est interprété par notre cerveau afin que celui-ci puisse produire la réaction qu’il juge approprié. Donc, même si la douleur n’est pas que ‘’psychologique ou ‘’dans notre tête’’ et est bien ressentie dans notre corps, on peut utiliser les capacités de notre cerveau pour tenter d’améliorer la situation!
La facilitation descendante est un mécanisme qui entraîne l’hypersensibilisation neuronale. Le fait de redouter la douleur ou des mouvements contribuent à maintenir le système d’alarme en état d’éveil.
En effet, lorsque l’on perçoit une menace, notre cerveau libère de la cholécystokinine, un neurotransmetteur dont le rôle est d’amplifier les messages nerveux de danger issus de la partie du corps menacée. Par exemple, si on est convaincu que plier son dos est mauvais et que l’on va se blesser en réalisant cette action, il y a de grandes chances pour que notre système nerveux décide de nous en protéger ! On retiendra sa respiration avant de bouger et on avancera avec grandes précautions !
Paradoxalement, plus nos craintes sont élevées, plus fléchir le dos pourra devenir douloureux. Et plus on évitera de se pencher. C’est un cercle vicieux qui s’auto-renforce.

Un autre mécanisme qui entraîne la facilitation descendante est l’hypervigilance : lorsqu’on s’inquiète beaucoup et qu’on se focalise intensément ou très souvent sur la douleur, le système nerveux perçoit que le niveau de menace est plus élevé ! En réaction, il diminue son seuil de réponse et on a mal plus souvent ou avec davantage d’intensité. L’anxiété en lien avec la douleur perpétue donc l’état d’hypersensibilité. À l’inverse, si notre attention est distraite par quelque chose, il arrive fréquemment que l’on ressente moins la douleur.
Plusieurs personnes rapportent vivre moins de douleur lorsqu’ils sont stimulés au travail par rapport à lorsqu’ils arrivent à la maison pour se détendre. L'explication de ce phénomène est complexe, mais l'importance de l'attention peut en faire partie.
L’inhibition descendante, c’est le contraire de la facilitation descendante. C’est le mécanisme par lequel notre cerveau rend les neurones moins sensibles en libérant des neurotransmetteurs et des hormones aux effets analgésiques (anti-douleur).
Lorsque l’on souffre de douleur persistante, on veut mettre ce système à profit autant que possible pour calmer le système d’alarme devenu trop protecteur ! L’inhibition descendante peut être déclencher par nos perceptions et nos croyances.
Si l’on perçoit que l’on se trouve dans un contexte sécuritaire et sans danger pour réaliser des mouvements, notre corps facilitera l’inhibition descendante et nous vivrons ainsi moins de douleur ! C’est là que notre perception du problème devient très importante : comment nous nous expliquons notre douleur, comment nous entrevoyons notre corps et nos perspectives de rétablissement deviennent des enjeux primordiaux.
L’inhibition descendante est également fortement influencée par nos habitudes de vie. La privation de sommeil (moins de 7 heures par nuit) la rend moins efficace. À l’inverse, être actif physiquement (faire au moins 20 minutes d’activité physique modérée chaque jour comme de la marche rapide) la rend plus performante. Certains médicaments permettent également d’améliorer l’efficacité de l’inhibition descendante.

En conclusion
La douleur persistante est réellement vécue, bien que la présence d’une blessure ne soit pas nécessaire pour qu’elle existe. Elle découle régulièrement d’une hypersensibilisation neuronale qui est influencé par nos perceptions, notre interprétation et nos habitudes de vie. Il existe plusieurs solutions à notre portée pour réduire le volume d’un système d’alarme trop performant! La première de ces solutions est l’éducation. Plusieurs études montrent que mieux comprendre la douleur réduit la perception de menace qu’elle engendre et nous permet de nous aider à reprendre le contrôle.
Ressources
Vous aimeriez en savoir plus sur la douleur et sur ce que l’on peut faire pour mieux la gérer ? Je vous encourage à visiter le site retrainpain.org (disponible en français). Ce site simple et fiable contient de courtes lectures très intéressantes et concrète. Il vaut définitivement le détour. Le site gerermadouleur.ca contient également une foule d’informations gratuites!
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Nicolas Blanchette pratique l’ostéopathie et la kinésiologie avec son équipe Ostéo-Solution sur la Couronne Nord de Montréal. Vous pouvez prendre rendez-vous directement en ligne.
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Références
Plan d’action pour la douleur au Canada, 2021
Retrainpain.org, 2024
Gerermadouleur.ca, 2024



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